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Enseigner la musique par le jeu

azerty (†), le 20/03/2024

Préambule

Enseigner la musique de façon ludique (de la naissance à l’adolescence), c’est faire découvrir à l’enfant (et à l’adulte) toute l’étendue et la variété d’un monde sonore dont il ne soupçonne pas les richesses. Et pour atteindre cet objectif ambitieux (mais Symphozik ne recule devant rien), le jeu est le moyen le plus agréable et le plus efficace d’y parvenir. D’ailleurs, le jeu est une pratique constante dans la musique : ne dit-on pas d’un instrumentiste qu’il joue (du piano, du violon, etc.) ? À ce propos, la compositrice et chercheuse Claire Renard écrit dans son livre Le geste musical (p. 101) : « On ne peut rêver meilleure approche de la musique […]. L’enfant appréhende la réalité par le jeu, le musicien appréhende la musique par le jeu. » Et le psychologue D.W. Winni cott indique pour sa part dans Jeu et réalité (p. 75) : « C’est en jouant, et peut-être seulement quand il joue, que l’enfant ou l’adulte est libre de se montrer créatif. » Par exemple, l’omniprésence du jeu est particulièrement évidente dans le jazz, où l’improvisation est reine.

Dans un article intitulé « L’invention musicale, de la naissance à l’adolescence », le musicien et chercheur en sciences de la musique François Delalande décrit comment le bébé explore de façon ludique son environnement sonore :

« Dès les premiers mois, la curiosité [du bébé] pour le son est une motivation forte. Nous avons filmé des enfants de six mois installés devant un tambourin fixé aux barreaux de leur lit. A peine le bébé est-il assis face à l’instrument, qui pour lui n’est qu’un objet nouveau dans son environnement familier, il touche inévitablement la peau, ce qui produit un son et une surprise […]. La nouveauté a donné envie au bébé de recommencer, et cette séquence répétitive peut durer couramment 3 à 7 minutes. Mais elle n’est jamais strictement répétitive : le geste s’adapte progressivement au corps sonore, selon un processus d’accommodation. […] Et ce processus d’accommodation du geste pour se régler en fonction de son efficacité, qui est déjà l’un des moteurs de l’activité sensori-motrice à six mois, restera l’un des soucis quotidiens de l’instrumentiste professionnel qui travaille sa sonorité.  »

Procédures

Le psychologue Jean Piaget, dans son ouvrage La psychologie de l’enfant, distingue (p. 149) trois sortes de jeux marquant le développement de l’enfant : après le stade sensori-moteur (0 à 2 ans environ), abordé dans notre dossier Dès le berceau, vient le stade des jeux symboliques (2 à 6 ans environ). Cette seconde catégorie de jeux permet à l’enfant, par l’expression gestuelle, de s’approprier les notions de base de la musique (tempo, rythme, nuance, hauteur, timbre, attaque) en exprimant corporellement ce qu’il ressent ; elle lui permet aussi d’établir une relation avec d’autres enfants : voir notre dossier À l’école maternelle. La troisième catégorie, qui correspond à la phase des jeux de construction et de règles, est la porte d’entrée royale dans l’apprentissage classique du solfège : voir notre dossier Le solfège sans peine).

À toutes les étapes de son évolution, trois situations s’offrent à l’enfant : soit il explore seul le monde sonore à partir des objets qui s’offrent à lui, soit il joue avec une autre personne et, dans une dynamique d’échange (demandes et réponses), découvre le principe de l’imitation, si important en musique (entrées en canon, phénomène d’écho, tuilage…) ; dans la troisième situation, l’adulte, musicien ou non, joue ou chante pour l’enfant, lui permettant d’intégrer, dans un climat affectif intense, tout ce dont le son est porteur (sensations, sentiments, émotions).

Ces trois situations se retrouvent dans le milieu musical professionnel. Pour le musicien en effet, interpréter, improviser ou composer de la musique, revient encore et toujours à pratiquer les différentes formes de jeux décrits par Piaget : sensori-moteurs (aller-retour entre la sensation et le mouvement), symboliques (aller-retour entre l’expression et le geste) et liés aux règles du contrepoint et de l’harmonie. Libre à l’interprète ou au compositeur de respecter scrupuleusement ces règles ou de les transgresser en inventant de nouvelles règles du jeu. Car, à quelque niveau qu’on la pratique, la musique reste toujours un jeu d’enfant !

L’apport des nouvelles technologies

Deux révolutions ont marqué l’évolution de la musique occidentale. La première est l’élaboration d’une écriture musicale à partir du XIIIe siècle : le fait, pour les compositeurs, de visualiser ce qu’ils avaient imaginé, leur permettait toutes les libertés pour superposer et développer les mélodies. Et on ne s’en est pas privé pendant sept siècles, du contrepoint savant de l’Ars Nova jusqu’à la combinatoire complexe de Pierre Boulez.

La seconde est relativement récente puisqu’elle date des années 1940 : c’est le fait de fixer les sons et les bruits sur bande magnétique. L’usage de ce nouveau support qui, pour les compositeurs, remplaçait le papier à musique, a vite été trouvé : il consistait à juxtaposer des fragments sonores par montage et mixage. Ainsi que le résume François Delalande : « Au lieu de contrôler par le regard la marche des voix, c’est par l’oreille, face à des haut-parleurs, qu’on apprenait à travailler directement le son. » Un nouveau terrain de jeu offrant des combinatoires illimitées se proposait donc à la créativité des compositeurs. Une œuvre illustre parfaitement cette démarche, c’est la Symphonie pour un homme seul composée par Pierre Schaeffer assisté de Pierre-Henry en 1949-51 (écouter le début).

Conséquences sur les styles

C’est ainsi que naît ce nouveau genre de musique savante qui deviendra populaire sous le nom de « musique concrète ». Mais ce merveilleux jouet technologique ne tardera pas à profiter aussi à la musique de variété grand public. C’est ainsi que le rock (né vers 1955), et tout ce qui en découlera, en plus d’utiliser les instruments électrifiés et le synthétiseur, se sert abondamment du procédé du mixage multipiste. Pour prendre un exemple récent, les techniques du montage et du mixage sont les seuls procédés en œuvre dans la bien nommée musique techno.

C’est donc une mutation esthétique radicale qui s’est opérée depuis le milieu du XXe siècle. Le fait de fixer le son lui-même sur un support magnétique a définitivement entériné le goût pour une musique de timbres telle que l’avait pressentie Edgar Varèse, auteur en 1917 de ce propos visionnaire : « La musique, qui doit vivre et vibrer, a besoin de nouveaux moyens d’expression, et la science seule peut lui infuser une sève adolescente... Je rêve d’instruments obéissant à la pensée et qui, avec l’apport d’une floraison de timbres insoupçonnés, se prêtent aux combinaisons qu’il me plaira de leur imposer et se plient à l’exigence de mon rythme intérieur. »

Ce jeu avec des timbres et non plus avec des notes rend caduque la célèbre définition de la musique par Jean-Jacques Rousseau : « art d’accommoder les sons de manière agréable à l’oreille ». Depuis les années 1960, elle embrasse désormais un champ beaucoup plus vaste en devenant plus largement une « organisation dans le temps de phénomènes sonores et de silences » : voir notre dossier Une définition d’aujourd’hui.

De la consommation à la composition

On sait que la musique tient une place essentielle dans la vie des adolescents d’aujourd’hui, mais ce n’est généralement pas celle que privilégient leurs professeurs. L’industrie du disque a bien compris l’intérêt financier qu’elle pouvait tirer du public jeune. Les grandes firmes se sont mises à la chasse aux "tubes" qu’elles ont propulsés grâce aux radios. La promotion des grandes stars a déclenché un véritable phénomène de société : clubs de fans hystériques, concerts géants, produits dérivés, etc.

Mais, parallèlement à ce travail de conditionnement qui vise à vendre le plus de disques possibles, une autre technologie a fait rebondir le marché depuis les années 1990. Le peer-to-peer encourage l’échange gratuit, de pair à pair. Car les jeunes discutent entre eux de leurs préférences et de leurs trouvailles ; le phénomène est amplifié par les réseaux sociaux. Cette communication qu’on pourrait dire « horizontale » stimule la recherche de la perle rare que, grâce à l’ordinateur, on peut copier, reproduire et diffuser au monde entier par Internet.

Mais ce grand jeu international ne se limite pas à une simple activité de sélection, de copie et de diffusion. Il incite les jeunes les plus créatifs (et ils sont nombreux) à arranger les morceaux, à en tirer des extraits qu’ils montent, enchaînent et remixent (ils ne respectent rien, ces jeunes !) ; c’est donc une véritable composition qu’ils proposent en ligne (on sait que nombre d’artistes se sont fait connaître ainsi). Créer de la musique originale est donc devenu très simple puisqu’il n’est plus nécessaire pour cela (mais pas défendu non plus) de savoir chanter ou d’avoir fait de longues études pour apprendre à jouer d’un instrument. Ce n’est même plus la peine, pour les plus paresseux, de perdre du temps à produire des sons inouïs sur un synthétiseur : il en existe déjà un large choix sur le marché.

Conséquences sur la façon d’enseigner

Ces beaux jouets technologiques qui séduisent tant les jeunes, ne pouvaient manquer d’intéresser les professeurs pour motiver leurs élèves et rendre leur enseignement moins rébarbatif. Dans le domaine de la musique, il leur était facile d’inventer toutes sortes de jeux pour susciter chez leurs élèves une écoute aiguisée et stimuler leur envie d’apprendre. Heureux hasard, Symphozik propose justement quelques exemples de ces jeux !

En outre, il s’invente en permanence de nouveaux outils permettant l’écoute et la création de la musique : 01net ; France Musique a sélectionné les sites permettant d’apprendre la musique en ligne (lien) : et pour transformer les portables en instruments de musique il y a l’application SmartFaust. Les enseignants ne manquent donc pas de ressources pour transformer leur salle de classe en un grand casino d’où l’on sort toujours plus riche (pas en euros bien sûr, mais en savoirs et en savoir-faire).

Conclusion

On constate donc que, depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte, le jeu est présent en permanence pour faciliter la découverte progressive de la musique jusqu’à sa maîtrise complète. Dans la panoplie des procédures existantes, on peut certes être attiré par celles qui sont proposées par les nouvelles technologies. Mais il ne faudrait pas mettre au rebut les jeux de société traditionnels (notamment le Trivial Pursuit) qu’on peut facilement adapter avec un peu d’imagination et de patience. Il y a aussi les nombreux jeux de questions-réponses qui font les beaux jours de la télévision.

L’Ecole joue un rôle essentiel dans la formation du goût musical des enfants. Face à l’énorme entreprise de conditionnement menée par les industries de la variété commerciale, les quelques séances consacrées à des jeux de création, associées à des jeux d’écoute attentive d’œuvres du répertoire, peuvent efficacement faire pencher la balance dans le bon sens. De nombreux outils sont à la disposition des enseignants qui veulent favoriser chez l’enfant une démarche d’appropriation et de création de la musique classique, plutôt que la réception passive d’une soupe industrielle.

Ressources liées

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